Pédagogie, Technique, Interprétation, Expression...
Article 1
ENSEIGNER AUJOURD'HUI
RUBRIQUE ENSEIGNEMENT
ENSEIGNER AUJOURD’HUI
Qu’est-ce que la didactique* ? A-t-elle sa place dans l’enseignement musical ?
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* du grec didaskein enseigner - Didactique, ce qui est propre à l’enseignement.
« se dit de ce qui vise à l’explication méthodique des procédés d’un art, d’une science, de quelqu’un qui poursuit ce but dans ces propos, son attitude ». (Larousse)
Le musicien dans sa pratique pédagogique est, comme l’ensemble du corps enseignant, de plus en plus interpellé sur ses méthodes, ses outils et supports pédagogiques par l’Institution.
Les pédagogies nouvelles nous ont appris depuis longtemps que la pratique musicale si elle suppose la répétition ne peut s’y réduire et il nous a semblé que le professeur de musique peut aussi pleinement tirer profit d’une réflexion et d’une application des outils et concepts de la didactique à l’enseignement musical au même titre que ce qui se pratique dans d’autres disciplines, les mathématiques ou les langues par exemple.
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La didactique dont il est question ne renvoie pas à la signification courante qui l’assimile à un enseignement académique aux méthodes passéistes voire rigides. Il s’agit tout au contraire d’une démarche novatrice et réflexive qui, face aux difficultés grandissantes des élèves au cours des apprentissages, aux défaillances des diverses théories pédagogiques et aux exigences de plus en plus difficiles à tenir des programmes institutionnels, interroge la complexité de l’acte d’apprendre du point de vue de l’élève/apprenant - ses canaux de compréhension/assimilation, ses difficultés - mais aussi de l’acte d’enseigner du point de vue du professeur – ses représentations, sa maîtrise des contenus, sa connaissance des obstacles récurrents rencontrés par les élèves, ses stratégies.
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La didactique s’alimente à la fois à la connaissance approfondie de la matière enseignée et à la connaissance scientifique des conditions d’acquisition et de construction du savoir.
Ecartons tout schéma réductionniste : la didactique n’est réductible ni à la connaissance d’une discipline, ni à la psychologie, ni à la pédagogie, ni à l’histoire, ni à l’épistémologie… Elle suppose tout cela, ne s’y réduit pas et revendique une identité propre à travers, ses concepts, ses problématiques, ses méthodes.
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Une vaste littérature existe sur le sujet et chacun pourra y puiser afin de s’approprier ce qui lui semble pouvoir enrichir sa pratique. Sans prétendre être exhaustif, notre propos consiste à présenter ici des pistes de réflexion qui pourront, nous l’espérons, nourrir la pratique de l’enseignement musical.
QUELQUES NOTIONS DE DIDACTIQUE
L 'APPROCHE DIDACTIQUE
Elle comporte trois axes :
- L’axe épistémologique, rapport de l’enseignant au savoir (savoir/enseignant)
- L’axe cognitif, rapport de l’élève/apprenant au savoir (savoir/apprenant)
-L‘axe pédagogique, le rapport de l’enseignant à l’élève/apprenant (enseignant/apprenant)
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La noosphère
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Désigne l’Enseignant, les Parents et l’Institution, ces différents « protagonistes » interfèrent directement et/indirectement sur l’apprentissage de l’élève/apprenant.
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La transposition didactique
L’enseignant initie le passage du savoir « universel » au savoir scolaire.
Ni vulgarisation, ni simplification : il s’agit d’adapter en fonction des structures cognitives de l’élève – de rester dans l’exigence d’une élaboration conceptuelle, sensible ou intellectuelle mais en tenant compte de l’âge et du niveau de compréhension de l’élève.
Le danger dans cette adaptation est de sombrer dans des mécanismes et des procédures réductrices.
C’est une transposition non une vulgarisation.
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La dévolution
L’enseignant, après diagnostic, fait apparaître le besoin de l’apprentissage chez l’élève.
Il présente le problème, explique le pourquoi - nécessité de l’explication pour impliquer l’élève et pour solliciter son intelligence, sa conceptualisation, son sens critique, son engagement dans la démarche de l’apprentissage.
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La topogénèse
L’enseignant a accès aux contenus de façon plus large et plus globale que l’élève qui n’a qu’un accès à des contenus morcelés.
Tenter de faire naître les liens, les correspondances et analogies entre les différents éléments de connaissance.
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Les variables didactiques
Ce sont les éléments sur lesquels l’enseignant peut jouer pour faire sortir l’élève de ses cadres et de ses représentations. L’objectif est de changer les représentations de l’élève lorsqu’elles sont erronées ou qu’elles nuisent à sa progression. L’enseignant ne peut pas se contenter de juger du vrai ou du faux, il doit débusquer les représentations enracinées qui font obstacles.
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La mémoire didactique
Mémoire que doit avoir l’enseignant de la progression de l’élève dans l’acquisition d’une notion.
Il doit pouvoir suivre l’évolution sur un plan horizontal liée à une notion donnée mais aussi l’évolution sur un plan vertical liée à l’enchaînement des notions entre elles. Cela suppose que l’enseignant lui-même possède la maîtrise et la connaissance de ces enchaînements.
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Le changement de cadre
Une même notion peut être présentée sous différents points de vue.
L’enseignant doit être capable de faire apparaître plusieurs aspects du même contenu/concept.
Maîtrise du concept de la part de l’enseignant qui ne s’enferme pas sur un point de vue exclusif qui serait le sien et le seul juste.
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Différents types de savoirs
Savoirs procéduraux : tout ce qui renvoie à des procédures, à un faire.
Savoirs déclaratifs : tout ce qui est de l’ordre de l’explication, l’enseignant et l’élève expliquent.
Savoir - savant : la théorie, la connaissance des règles et définitions, désigne le savoir de référence reconnu par la " communauté " concernée.
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La chronogénèse
L’enseignant anticipe, il connaît à l’avance les difficultés qui vont être rencontrées par l’élève/apprenant, les problèmes nouveaux qui vont surgir.
L’enseignant a une vision projetée dans le temps d’une démarche à suivre pour l’apprentissage.
Pour conclure, nous pouvons qualifier un enseignement qui met en œuvre une approche didactique de constructiviste, l’élève construit ses connaissances. L’enseignement est plus horizontal que vertical et permet les retours en arrière ; le contenu s’élargit et le maillage des connaissances et leurs associations sont de plus en plus fins. On construit ses connaissances et on se construit.
Citons encore quelques atouts :
La didactique met l’accent sur le développement de l’intelligence et de la personnalité des élèves, privilégiant même dans certains cas cet objectif à celui de l’acquisition mécanique de connaissances.
Elle entraîne une véritable analyse des contenus que l’on voudrait voir les élèves s’approprier, ce qui est bien autre chose que de vouloir faire ingurgiter telle ou telle notion, vite apprise mais vite oubliée, incluse dans un programme !
Conclusion :
Participer à une recherche en didactique c’est, pour un enseignant, un moyen d’interroger sa pratique et de se former tout au long de sa carrière. C’est aussi participer à la production de connaissances et d’outils didactiques qui serviront aux futures générations et qui, peu à peu, s’engrangeront en un corpus.
A suivre ...
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Article 2
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LE RÔLE DE L'ENSEIGNANT
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LE ROLE DE L’ENSEIGNANT
Le trajet de l’information : informer, a quel niveau ? quelle stratégie mettre en œuvre ?
L’un des rôles majeurs de l’enseignant est d’informer, cela sous-entend qu’il possède les connaissances et les outils relatifs à la discipline étudiée. Cela suppose aussi qu’il connaît des techniques d’apprentissage permettant à l’information de circuler, d’être transmise et intégrée par l’élève.
Comme dans d’autres domaines, on attend de l’enseignant qu’il détienne un « savoir global » : le savoir théorique ou savoir-savant, le savoir–faire, l’application pratique des contenus et des connaissances et le savoir-être, savoir relationnel, compréhension, empathie.
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Maîtriser le chemin que va suivre l’information jusqu’à l’élève suppose aussi de connaître, d’utiliser et choisir les canaux de transmission appropriés rendant possible l’apprentissage. Il s’agit tout d’abord de déterminer sur quels niveaux spécifiques l’information est susceptible d’être retenue, différents plans existent et chacun à son niveau peut être source de blocages et donc de freins potentiels à l’étude.
​Ces niveaux concernent les différents plans de réception de l’information de l’individu à savoir :
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​Les plans :
- Intuitif - imaginaire, créativité, ressenti, fluidité du comportement, approche symbolique de l’objet …
- Cognitif - conceptualisation, verbalisation, clarté mentale, capacité d’attention et de concentration, gestion de l’émotionnel, force mentale…
- Affectif - relationnel, axe comportemental, ouverture d’esprit …
- Emotionnel - énergie, dynamisme, vivacité, réactivité…
- Physique - dialectique du corps, mimiques, voix, aisance gestuelle, confiance, ancrage, stabilité, posture…
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​Grâce aux indices relevés durant le cours, le professeur est en mesure d’évaluer à partir par exemple de l’expression musicale, de l’expression corporelle, de la structure ou de l’émotivité du jeu, etc. quel chemin privilégier pour faciliter l’apprentissage et pour lever les obstacles éventuels.
A chacun de ces plans est aussi lié un sens – vue, ouïe, toucher, goût, odorat – c’est-à-dire un canal sensoriel privilégié.
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Pour l’étude instrumentale, trois sens sont principalement sollicités : le sens visuel - la partition, le texte musical, le sens auditif – l’univers sonore, aigu/grave, rythme, harmonie, etc. et le sens kinesthésique - le toucher, le mouvement, la gestuelle.
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Il existe une correspondance entre les sens et le niveau d’information.
Le sens visuel renvoie au plan cognitif, le sens auditif à l’intuitif et enfin le sens kinesthésique à l’espace corporel, physique.
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Toute stratégie d’apprentissage doit pouvoir se construire et s’exercer à partir d’un ou plusieurs de ces canaux sensoriels qui sont autant d’axes de perception de l’information, en prenant conscience que chacun agit comme un révélateur d’un plan d’information qui est en mesure d’appréhender mais aussi de bloquer l’information.
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Les erreurs et les obstacles rencontrés dans l’apprentissage d’une discipline relèvent bien souvent d’un déficit de compétences au niveau des outils de base ou d’une absence de mise en relation des principes clés. « Faire ou ne pas faire » une chose revient souvent à se heurter à un manque de mise en relation des éléments entre eux, ou à une absence de connaissances de ces mêmes éléments.
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L’apprentissage devient plus aisé si l’apprenant perçoit mieux ses outils de travail, leurs rôles respectifs et les interconnections qu’ils entretiennent. Il est toujours plus performant si l’élève appréhende les contenus et les problèmes éventuels sous une multiplicité d’aspects qui le sensibilisent sur plusieurs plans d’informations et lui font entrevoir, à partir des éléments composites, l’unité de l’ensemble.
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​L’hémisphère gauche – l’hémisphère droit
Concernant la question du traitement de l’information, arrêtons-nous un instant sur les travaux de la neurobiologiste Jill Bolte Taylor qui analyse dans son ouvrage Voyage au-delà de mon cerveau (J.C. Lattès, 2008) les particularités de chaque hémisphère cérébral. Elle rappelle que de nombreuses hypothèses ont été formulées « …à propos de la similitude et de la différence d’analyse de l’information et de l’acquisition de nouvelles connaissances par l’un et l’autre des deux hémisphères cérébraux ».
Même si les deux hémisphères coordonnent leur action, forment un tout nous livrant une perception unifiée du monde, nos deux hémisphères traiteraient « l’information chacun à leur façon » c’est-à –dire de façon différenciée.
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Au niveau physiologique, rappelons qu’il y a inversion de pôles, le « cerveau » gauche contrôle la moitié droite du corps, le « cerveau » droit, la moitié gauche.
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Selon Jill Bolte Taylor, l’hémisphère droit réalise à chaque instant « un montage qui offre une vue d’ensemble du moment présent ». Il nous rend capable de saisir « l’infinie richesse de l’ici et maintenant ». Il nous permet d’unifier, de recueillir les similitudes, de gérer la réalité de façon intuitive, symbolique ; il exprime la créativité, l’intuition, les penchants artistiques, l’empathie. La réalité est perçue de façon féminine au sens de l’anima jungien, l’intelligence est dirigée vers le ressenti immédiat, la réceptivité, l’immersion dans l’événement apportant les solutions. A cette part féminine est associé le sens de l’ouïe, de l’écoute du monde et de l’écoute intérieure.
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L’hémisphère gauche traite quant à lui les paramètres objectifs de la réalité. Il nous plonge dans une intelligence pratique de gestion mentale et d’organisation cognitive. Il suit un ordre chronologique, il compare, il entre en jeu dans les raisonnements déductifs, il subdivise, perçoit les détails, assemble les éléments d’un puzzle. Il renvoie à l’animus, notre part masculine qui traite les informations de façon conceptuelle en s’appuyant sur des faits réels et concrets. La réalité est observée sans états d’âme, objectivement, rationnellement.
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Les stratégies d’apprentissage, ses mécanismes
Informer, faire passer un message, suppose de créer des stratégies, de mettre en place des systèmes cohérents en rapport à un apprenant singulier, des systèmes qui lui correspondent, qui le motive et qu’il peut capter.
Chez l’enfant, la part cognitive rationnelle est moins développée que celle de l’adulte qui capte l’information de manière plus intellectuelle qu’imaginative.
L’enseignement doit tenir compte et se soumettre à ce constat en préservant dans son approche l’imaginaire de l’enfance.
Il s’agit de mettre en œuvre des modalités d’apprentissage conçues et mises en œuvre en faisant cas du trajet de l’information selon qu’elles s’adressent plutôt aux compétences « cerveau droit » ou « cerveau gauche » de l’individu. Le professeur doit être en mesure d’évaluer rapidement le niveau de maturité de l’élève pour le conduire vers une étude qu’il est à même de s’approprier.
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La stratégie d’apprentissage adoptée va être intimement liée à l’analyse plus ou moins pointue qu’ effectue l’enseignant sur le comportement général de son élève : son stade d’évolution, son niveau de compétences par rapport à la discipline étudiée, ses aptitudes, ses blocages, son ouverture face à l’information, ses zones d’ombre.
Organiser une stratégie revient à donner des chemins, des axes d’étude, des moyens d’apprendre (qui peuvent êtres répertoriés), par l’utilisation d’outils spécialisés, mais c’est aussi élargir globalement le champ de perception de l’élève afin qu’il soit plus aisément en mesure de fixer les connaissances.
Information rationnelle et information symbolique
Suivant le parcours, l’âge et les besoins de l’élève, l’enseignement sera en mesure d’inverser ses pôles de conduction : du rationnel vers le symbolique ou inversement de l’imaginaire vers la conceptualisation et la verbalisation.
Il est important de garder présent à l’esprit qu’un apprentissage complet se doit d’intégrer toutes ces dimensions, de développer l’ensemble des compétences possibles et viser ainsi l’équilibre de l’élève.
Une déficience de l’un ou de l’autre des deux pôles - structure rationnelle/ forme imaginative - ne peut qu’engendrer obstacle et frein à l’imprégnation de l’information.
​En résumé, nous pouvons dire que les stratégies d’apprentissage dans le domaine musical se développent à partir des principes suivants :
​ - L’ouverture aux différentes perceptions du Musical : perceptions visuelle, auditive et kinesthésique,
- L’élargissement de leur champ d’action sur les différents plans de traitement de l’information : plans intuitif, cognitif, émotionnel et physique,
- Le nivellement des différentes perceptions sensorielles,
- L’établissement de systèmes relationnels entre tous les plans d’information par l’édification de connexions référentielles visant, à partir des contenus composites de départ, à restructurer l’unité des connaissances.
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En guise de conclusion, rappelons que le but de la pratique instrumentale étant d’interpréter les œuvres, l’initiation qui consiste à la redécouverte d’un texte musical à travers sa signification symbolique ne peut se substituer à aucune autre démarche. Celle-ci reste bien sûr conséquente à la première approche consistant tout simplement à lire le texte de façon objective.
​Dans l’étude, les deux aspects de cette même réalité qu’est le Musical ne peuvent être dissociés et font l’objet d’une complémentarité indispensable à une bonne stratégie d’apprentissage.
A suivre...
Article 3
LA PRATIQUE INSTRUMENTALE D'HIER ET D'AUJOURD'HUI
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LA PRATIQUE INSTRUMENTALE : D'HIER A AUJOURD'HUI
Peut-on se passer de musique ? qu’en est-il de la pratique instrumentale ?
Le Musical en tant que phénomène humain individuel et collectif, en tant que langage symbolique et création artistique exerce un rôle majeur sur le développement des capacités d’un individu, sur l’équilibre fondamental que cet art induit dans la structure des sociétés humaines.
Nombreux parmi les poètes, écrivains, philosophes, scientifiques et les publics les plus divers sont ceux qui admettent cette place majeure de la musique dans nos vies. Nous sommes peut-être un animal musique suggère Claudel - Shakespeare dans la Nuit des rois constate que l’âme est profondément malade et manque d’humanité si elle n’est pas musique - Schopenhauer ne dit-il pas que « si …l’univers venait à périr, la musique resterait » (cité par Rudolf Steiner) – pour Claude Levi Strauss, le mystère suprême des sciences de l’homme est l’invention de la mélodie. A l’origine, retrouvons le mythe avec Orphée, Pythagore pour qui le monde est instrumentation, traduction dans le visible de structures musicales. Trop nombreux sont les éloges faits à la Musique que l’on pourrait citer encore.
De la musique avant toute chose dit Verlaine de la poésie … "Nous avons un véritable besoin de musique et nous faisons aussi de la musique, nous sommes tous concernés. La pratique instrumentale remonte aux origines de l’humanité, les premiers instruments de musique en tant que vestiges archéologiques en témoignent même si les mélodies jouées par nos ancêtres se sont envolées, perdues, non écrites, non enregistrées…"
Homo Faber fabrique des outils qui prolongent son corps, il a fabriqué aussi très tôt des instruments de musique, sifflets, flûtes…. Comme le chant prolonge la voix, le langage prolonge la pensée, l’outil extériorise un geste efficace, l’instrument de musique fait sonner le corps en mouvement. Objets autonomes, il faut savoir en jouer, ils ont chacun leurs propriétés singulières.
Même si la voix elle-même reste l’instrument originaire, la musique est tributaire des instruments. Elle explore, exploite les possibilités multiples d’un instrument (études de Chopin, Liszt, Debussy, Cage Berio…) et l’instrument lui-même se modifie, s’adapte aux exigences créatrices du compositeur et aux différents contextes esthétiques, sociales et historiques dans lesquelles la musique prend place. L’exemple du piano est à ce titre marquant, lui qui n’a cessé de connaître des modifications et de multiples évolutions qui l’ont conduit aux formidables possibilités de l’instrument que nous connaissons aujourd’hui.
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Les compositeurs ont toujours suivi avec le plus grand intérêt les progrès de la facture instrumentale (Bach/Silberman, Beethoven/Broadwood). Les exigences musicales ont conduit les facteurs d’instruments à développer des dispositifs tenant compte ingénieusement des propriétés des sons, des caractéristiques de l’audition et de la motricité. Les instruments de musique doivent être à la fois ergonomiques, adaptés à la morphologie et efficaces d’un point de vue acoustique.
C’est déjà depuis le siècle dernier que les nouvelles générations de compositeurs se sont intéressés aux possibilités sonores qu’ont ouvert les voies de l’électro-acoustique et de l’informatique. A partir des années cinquante, de nombreux centres de recherches et de création musicale apparaissent, donnons quelques exemples parmi les plus prestigieux :
- Le studio d’essai de Paris (GRM Groupe de Recherche musicale), créé par pierre Schaeffer en 1946, d’où est née la musique concrète qui fait appel à des sons enregistrés, modifiés, montés ou mixés.
- Le studio de la Radio de Cologne, fondé en 1952 et considéré comme le berceau de la musique électronique.
- Le Columbia-Princeton Electronic Music center, centre musical américain qui voit le jour en 1955, rattaché à l’université de Columbia Princeton (New York, USA), pionnier en matière de synthèse sonore et de création des premiers synthétiseurs.
- Les lieux de la Computer Music, musique assistée par ordinateur principalement les laboratoires Bell, l’EMS de Stockholm, le CCRMA de Stanford et l’IRCAM crée en 1977 par Pierre Boulez, qui a contribué à faire connaître cette musique nouvelle au grand public.
La musique a toujours eu partie liée avec les sciences ; dès l’antiquité, nous l’avons mentionné, Pythagore affirmait le lien entre nombre mathématique et son musical, l’ordre de l’univers, le cosmos est associé aux composants de la musique, accord – intervalle – modulation harmonique…
De fait, la musique a suscité des travaux et des progrès scientifiques et techniques d’importance. On peut retracer l’histoire d’une partie significative de la pensée scientifique, des mathématiques à la physique à travers l’étude de la musique et de ses instruments. Kepler par exemple fait le parallèle entre les distances interplanétaires et les intervalles musicaux, consonance parfaite entre les mouvements des planètes et un intervalle comme l’octave, la quinte ou la sixte.
Galilée, Huygens, Leibniz, Newton, Einstein et tant d’autres pratiquaient tous la musique, ce qui a souvent joué un rôle décisif dans leurs découvertes scientifiques. La musique a servi de modèle de pensée et réciproquement la science a permis de dégager les lois physiques et de développer les outils mathématiques nécessaires à la mise en équation du fonctionnement des instruments. On a pu ainsi montrer l’importance pour l’oreille du spectre de fréquence, du dosage des composantes harmoniques du son. Plus tard, l’enregistrement a permis de fixer le son et de le reproduire en l’absence de sa cause mécanique initiale.
L’acoustique musicale appelle à la rescousse l’analyse spectrale du signal mais aussi l’analyse modale, les possibilités de synthèse sonore, la modélisation numérique… Les instruments nous apprennent beaucoup en matière d’acoustique et l’organologie est une science de progrès pour la science du son en général.
Aujourd’hui, on compose le son lui-même au lieu de composer avec lui, musique acousmatique où l’origine du son n’est plus visible. Avec ces musiques de studios, la musique semble perdre son contact ancestral avec le corps ce qui est d’une importance considérable pour les instrumentistes traditionnels pianistes, violoncellistes, violonistes etc. puisque c’est leur existence même qui peut en être ébranlée.
Les musiques mixtes marient les sons acoustiques avec les sons numériques et beaucoup se soucient de faire intervenir le geste du musicien en temps réel pour modeler le son numérique.
On peut supposer que les instruments acoustiques survivront malgré tout en raison de leur caractère accompli, de leur identité forte et parce qu’ils sont nécessaires pour continuer à faire vivre le grand répertoire classique occidental et la musique instrumentale d’aujourd’hui.
En guise de conclusion, disons que la confrontation entre les instruments acoustiques traditionnels, palpables et visibles, et un nouveau monde sonore numérique en expansion, virtuel et immatériel, témoigne de l’existence d’une approche complètement dissociés de deux univers sonores qui ont du mal à composer ensemble : l’un symbolique, l’autre plus mental, deux aspects d’une même réalité qui s’ils composaient ensemble pourraient ouvrir sur de nouveaux champs de créativité.
... A suivre